Tribune  : les lavandes au coeur des parfums

Par Sandrine Teyssonneyre, aromatologue, auteur, conférencière et passionnée par la parfumerie.

Une plante aux nombreuses vertus…

Plante millénaire du pourtour méditerranéen, la lavande a fait parler d’elle en 2021 quand la réglementation européenne a voulu proscrire son HE comme toxique. Bien défendue, notamment en France, la production de cette HE raffinée aux profils olfactifs multiples est ancrée dans la longue histoire du parfum.

La surutilisation de cette Lamiacée en produits détergents de masse ne doit pas nous faire oublier que la lavande est une plante royale de la parfumerie. Son étymologie – du latin « lavare » pour laver – associe au linge propre et aux lavoirs publics de la Provence, dont elle colore le vaste territoire dès la fin juin.

Elle pousse de nouveau dans le Quercy où des passionnés ont ressuscité une lavande fine sauvage appelée “lavande royale du Quercy”. En France, la lavande pousse entre 600 et 1.400 mètres, et jusqu’à 1.800 mètres pour certaines lavandes alpines. Malgré de nombreuses innovations dans la mécanisation de la récolte, des producteurs bio reviennent à la faucille… la lavande s’est propagée vers l’Est dans les Balkans, en Bulgarie, en Russie, et elle pousse à 3.500 mètres d’altitude au Cachemire, entre Pakistan et Inde. Elle croît aussi au Canada et en Tasmanie, qui produit aujourd’hui son HE.

Distinguer les lavandes 

La molécule principale des lavandes est le linalol, un alcool monoterpénique considéré comme un allergène potentiel, d’où l’agitation européenne. L’HE de lavande contient aussi de l’acétate de lynalyle (ester terpénique) et une petite dose de sesquiterpènes qui lui assurent des vertus antispasmodiques et anti-inflammatoires.

La lavande vraie, fine/petite ou officinale (lavandula angustifolia, vera, officinalis) existe, selon Ernest Guenther, en deux variétés principales : var. delphinensis, qui pousse en altitude jusqu’à 1.300 mètres, et var. fragrans (lavande moyenne), qui pousse en-dessous.

C’est la lavande de la parfumerie, mais aussi de la cosmétique. On peut utiliser son hydrolat sur le visage. Calmante et sédative la lavande ? Pas forcément car selon le dosage, elle peut au contraire être tonique. Son HE est plus chère que les autres tout simplement parce que le rendement à la distillation est plus bas.

Bien que plus résistante que la lavande fine, la lavande aspic (lavandula latifolia spica, spike lavender, grande lavande) pousse en basse altitude car elle n’aime pas le froid ; ses fleurs tendent vers le gris. Tirant son nom de celui d’une vipère, elle est notoirement indiquée pour calmer les piqûres d’insectes, de guêpes et autres venins. Composée de linalol en majorité, elle contient aussi du cinéole (oxyde terpénique) et du camphre, une cétone.

Le lavandin Super (lavandula grosso ou burnati, grosse lavande) est un hybride naturel des deux précédentes, qui se présente sous diverses formes : grosso, burnati, abrial, sumian, avec une odeur plus camphrée que la lavande vraie. Ses tiges donnent des épis « secondaires » qui se séparent de la tige centrale et il fleurit plus tard que la lavande vraie. Il pousse aussi en-dessous de 800 mètres. Les sachets de lavandin sont parfaits pour protéger le linge des mites. En cas de sciatique ou de contraction musculaire, une synergie huileuse avec de l’HE de lavandin Super vous soulagera rapidement.

Enfin, les lavandes maritimes (lavandula stoechade), qui se caractérisent par de larges épis floraux violets aux extrémités de leurs branches, tirent leur nom des Îles Stoechades, nom grec qui désigne les îles situées au large de Hyères (dont Porquerolles et Port-Cros). C’est sans doute à cette lavande que se réfèrent les Anciens dans leurs traités médicaux. Avec 80% de cétones, cette lavande est considérée comme abortive et donc contre-indiquée. En Andalousie, la lavande Luisieri, ou de Séville, est aussi une Stoechas, mais avec 5% de cétones seulement, elle est acceptable.

Olfaction et énergie

C’est la lavande fine que l’on utilise à la fois en parfumerie et en aromachologie, le lavandin et la lavande Aspic offrant peu d’intérêt. Pour autant, il est impossible de parler d’ « une » odeur de lavande, tant les profils olfactifs sont influencés par la provenance, l’altitude et le traitement. Il est communément accepté que la lavande représente une énergie féminine ; c’est pourtant son énergie masculine qui explique sa place dans le parfum, notamment dans la famille des « fougère ». La lavande exprime la force, la volonté, la droiture et la noblesse. Son raffinement et son élégance sont des thèmes largement explorés par les grands parfumeurs anglais. La lavande a de la consistance. Elle donne le sentiment d’un roc, d’une force tranquille que rien ne peut ébranler. Sa solarité est ancrée, comme celle de l’immortelle ou des grandes plantes aromatiques du pourtour méditerranéen et du maquis corse.

Un peu de chimie

Au troisième volume de The Essential Oils, Ernest Guenther dédie 77 pages au sujet de la lavande, ce qui n’est pas rien, et il a une prédilection pour le produit d’origine française. La lavande aurait peut-être été introduite en Angleterre par des Huguenots français au XVIème siècle. Dans la première moitié du XXème siècle, la lavande de Mitcham (Sud de Londres) avait disparue pour être remplacée par des cultures plus éloignées de la capitale ; la firme Yardley a joué un rôle dans ces développements. Beaucoup moins riche en esters que la lavande fine française, elle se rapproche du lavandin.

En France, l’entre-deux-guerres est caractérisé par la coexistence de la lavande sauvage, qui néanmoins recule, et des premières tentatives de culture industrielle de la lavande à partir de semis et de plants. Pour la récolte, de la main-d’œuvre vient d’Italie, notamment. La lavande est hydro-distillée sur place dans des alambics portables, la matière étant recouverte d’eau. Le lavandin se développe alors que la famille lyonnaise Gattefossé, pourvoyeuse des parfumeurs et inventrice du terme « aromathérapie », établit la notoriété de la lavande comme réparateur cutané. En effet, né en 1881, le chimiste René-Maurice Gattefossé, fils du fondateur, est brûlé grièvement dans son laboratoire en 1910. Alors que les médecins ne parviennent pas à guérir la gangrène qui se développe, Gattefossé se guérira seul avec des compresses d’huile de lavande fine. En 1937, il publie Aromathérapie : les Huiles essentielles hormones végétales et, en 1938, Antiseptiques essentiels. Il est aussi le principal rédacteur de la revue créée par sa famille, La Parfumerie Moderne.

Selon Guenther, la lavande a besoin de sol silico-calcaire, d’une bonne altitude et d’une exposition au Nord, d’un climat sans sècheresse ni crues (les eaux stagnantes étant néfastes à la plante), d’une bonne séparation entre les plants et d’une taille régulière. La teneur en esters est à son maximum lorsque la floraison atteint son apogée, soit environ trois semaines cruciales en été.

En 1892, les chimistes Bertram et Walbaum, qui travaillent pour la firme allemande Schimmel & Co, établissent la chimie de la lavande fine. La part des esters les conduit à recommander que la distillation soit faite à la vapeur, rapidement et que la plante soit traitée au plus vite pour éviter tout séchage. En effet, l’eau bouillante induit une hydrolyse des esters. Cette constatation scientifique conduit à une transformation de la distillation. Remarquablement, les distillateurs des siècles précédents avaient déjà tiré cette conclusion sans démonstration chimique.

En huiles essentielles

C’est la teneur en acétate de lynalyle qui différencie les huiles.

La lavande fine contient 30%-60% de cet ester, ainsi que d’autres, tel l’acétate de bornyle ; des alcools dont linalol, géraniol, lavandulol, nérol, bornéol ; du cinéole ; des traces de cétones, dont carvone et 3-octanone ; des terpènes ; des aldéhydes ; des sesquiterpènes (faibles), dont caryophyllène ; et la coumarine.

En 1925, les maisons grassoises tentent d’extraire la lavande au solvant, l’absolu requérant quatre extractions au total. Le rendement de la concrète est entre 1,5% et 2%, donnant entre 50% et 60% d’absolu, avec quatre fois plus de coumarine que l’HE, car la coumarine continue à se former pendant les extractions. Il en ressort une matière plus suave, plus terreuse avec une note foin et meilleur fixateur.

L’HE de lavandin contient 25-35% d’esters environ, dont l’acétate de linalyle forme la quasi-totalité ; plus de 50% d’alcools, dont le linalol forme la très vaste majorité, suivi du bornéol ; des terpènes ; jusqu’à 12 % de cétones, dont camphre (11%), et des aldéhydes.

La lavande Aspic, pauvre en esters, n’a pas d’intérêt en parfumerie.

La lavande du parfum

L’histoire du traitement de la lavande est celle du passage d’une plante thérapeutique à une plante à parfum, transformation qui se consomme au cours du XIXème siècle, pour produire un Fougère Royale.

Déjà utilisée par les médecins grecs et latins, la lavande entre dans la pharmacopée médiévale par l’intermédiaire des jardins de simples cultivés à l’ombre des abbayes. Au XIVème siècle, la lavande entre dans la formule du Vinaigre des quatre voleurs, avec moult plantes, pour lutter contre la peste. Et si le romarin est l’ingrédient principal de l’Eau de la reine de Hongrie, cette dernière contient des plantes aromatiques, dont la lavande. Nous trouvons des traces de cette recette, avec sauge et thym, dans Le parfumeur royal de Simon Barbe à la fin du XVIIème siècle et jusqu’au milieu du XIXème. La lavande est distillée mais, en tant que plante aromatique, elle n’entre ni dans la préparation des peaux, ni dans l’enfleurage des gants. Cependant, elle entre dans la fabrication des sachets et autres poudres à porter sur soi ou à faire brûler.

Dans son Traité des odeurs (1764), Dejean inclut la lavande dans la très élaborée Eau divine et cordiale qui comporte une longue liste de fleurs et de plantes aromatiques, chacune ajoutée en sa saison. Outre une réitération de la recette de l’Eau de la reine de Hongrie, on trouve chez Dejean une Eau de lavande composée avec fleurs de lavande et d’oranger, romarin, serpolet, menthe ou mélisse, distillés dans l’eau de vie. La lavande entre dans des eaux pour les dents et des poudres pour blanchir la peau, mais aussi dans les poudres à poudrer à base d’amidon, telle la poudre impériale, avec iris, thym, feuille de laurier, roses blanches séchées, cannelle, macis, ambrette et grain d’ambre.

Dans L’art du parfumeur de 1801, Jean-Louis Fargeon distingue la distillation de la plante à l’esprit de vin pour produire l’esprit de lavande et à l’eau pour produire l’HE. La lavande entre dans la fabrication d’une eau vulnéraire avec des plantes telles la rue, l’hysope, plusieurs menthes et l’absinthe, ou encore l’eau odorante germanique. On commence à trouver la lavande dans des compositions plus parfumées, telle une Eau de bouquet, où sont entrés des résines, des épices, des agrumes, des esprits de fleurs, de la vanille.

C’est dans Le parfumeur impérial de Bertrand (1809) que l’on trouve pour la première fois l’essence de lavande dans des pommades composées, faites par enfleurage. Ainsi, l’essence de lavande entre dans la pommade de mille-fleurs ou celle au pot-pourri, avec les pommades de fleur d’oranger, de cassie, de jasmin, de rose et de réséda. Les fleurs de lavande entrent dans sa recette de l’Eau de mélisse ou des Carmes, avec feuilles et fleurs de mélisse parmi une longue liste d’ingrédients. Première recette d’Eau de Cologne aussi, résultant de la macération dans un esprit de vin fin, puis distillation, des essences de bergamote, citron, lavande, orange de Portugal, cédrat, néroli, thym et romarin, auxquelles sont ajoutées les eaux de mélisse et de fleur d’oranger.

Le début de la gloire

Le Second Empire achève la métamorphose de la lavande de plante médicinale à matière première du parfum, et Le nouveau manuel complet du parfumeur de Malepeyre et Pradal en offre la preuve.

En effet, ce traité est le premier à dédier une section entière aux compositions à base de lavande. Au nombre de douze, on y trouve les contours d’une parfumerie classique qui va durer jusqu’à 1920 environ, pour être chamboulée par le grand vent de la synthèse.

Ainsi la lavande anglaise comprend, dilués dans de l’esprit de vin, trois litres de lavande ambrée supérieure (qui inclut diverses résines et baumes, santal, essences de géranium et de girofle, notamment, coupée avec de l’eau de fleur d’oranger), les infusions de baume Tolu, fève tonka, civette et ambrette et les essences de lavande, bergamote et girofle. La lavande royale ambrée comprend, dans 25 litres d’esprit de vin rectifié de Montpellier, les infusions de baume Tolu, de benjoin, de storax, de girofle, de cannelle, de baume du Pérou, de santal, esprit et eau de rose, les essences de lavande, de bergamote et de girofle et une infusion de musc. La lavande royale aux fleurs est composée d’extrait de fleur d’oranger, d’esprit de rose, des infusions de santal, d’ambrette, de baumes Pérou et Tolu, de storax, de benjoin, de musc, d’ambre et de civette et les essences de girofle, lavande et bergamote, le tout dilué dans sept litres d’esprit de vin.

Marques de noblesse

Les traces de la lavande ancestrale sont multiples. On les trouve dans le Mouchoir de Monsieur d’un Guerlain (1904) qui suit de dix ans l’Eau de Cologne du Coq, aromatique hespéridé et garni de fleurs blanches, la Lavanda Imperiale du vieux parfumeur florentin Santa Maria Novella (1937), et dans la parfumerie anglaise pourvoyeuse de la cour. Si la maison du barbier Penhaligon se superpose, en 1870, à un bain turc, entré dans la légende avec Hammam Bouquet, elle n’en a pas moins rendu hommage à l’Angleterre royale avec une ligne de parfums « héritage », parmi lesquels figure le très princier Blenheim Bouquet (1902), en référence au palais du Duc de Marlborough. La lavande y figure en tête avec cardamome et thym sur un cœur de coriandre et poivre noir, arrimé au pin et au vétiver. Le Brilliantly British de 2020 est une version contemporaine de l’héritage, où la lavande est sucrée de caramel. Floris, fondé cent ans plus tôt par un Espagnol, avait déjà son premier Lavender en 1821, où figuraient géranium et sauge. À la fin du XIXème siècle, Special 127 est une Cologne aromatique et florale avec agrumes, géranium, lavande, fleur d’oranger, rose et ylang.

Le Vert Fougère de Floris en 2020 est plus moderne. Sans trace de fleurs, la lavande y côtoie patchouli, gingembre et galbanum. Creed lance un aromatique ambré dès 1856, Royal Scottish Lavender, sur un fond boisé de santal. Aberdeen Lavender date de 2014 avec un beau cœur floral sur une note cuir et terreuse (patchouli et vétiver). Viking Cologne (2021) est un beau fougère épicé, sur fond de bois et résines. Le Scotch Lavender d’Oriza L. Legrand date de 1884. Sa version actuelle mêle lavande et thym avec un ambre de benjoin et fève tonka, pour introduire le géranium.

Fougère

Le « fougère » tel qu’il émerge vers 1880, avec ses notes de tête aromatiques, dont celles de la lavande et de la sauge, sur un cœur de géranium ancré à un fond comprenant coumarine (avec ou sans fève tonka) et mousse de chêne, n’est pas une révolution. La formule a mijoté des deux côtés de la Manche pendant longtemps. Pour autant, Fougère Royale d’Houbigant (1882) symbolise le passage des procédés traditionnels d’extraction aux premières découvertes de la synthèse. Entre 1874 et 1878 sont synthétisées la vanilline, la coumarine et l’héliotropine, par Tiemann et Reimer dans le premier cas et Reimer et Haarmann dans les deux autres. Fougère Royale codifie la formule : fève tonka, vanille et mousse de chêne en fond, rose et géranium en cœur avec éventuellement de l’œillet (donc eugénol) et d’autres fleurs, lavande, sauge et agrumes en tête. À Fougère Royale s’ajoute l’héliotropine, synthétisée en 1878. La formule de 2010 fait entrer la camomille, douce, crémeuse, solaire et bonne alliée de la lavande.

En 1889, Aimé Guerlain propose dans Jicky une version plus ambrée et très racée de cette idée, avec des notes boisées et des résines, un fond cuir, l’iris dont la maison ne saurait se passer, et du jasmin pour remplacer les notes de fleurs rosacées et épicées (rose, œillet, géranium).

Pour Un Homme

L’autre lavande mythique est évidemment Pour un Homme de Caron (1934), où la plante s’ancre à la peau dans un mélange de coumarine, de vanille, d’ambre et de tabac éminemment masculin et aristocratiquement sexuel. En 2022, Jean Jacques, le parfumeur maison, a donné deux nouvelles déclinaisons de ce totem de la parfumerie, une pour Le Matin, épicée de gingembre, et une pour Le Soir, racée avec iris et feuille de violette, où une essence de bois de chêne amène une senteur Cognac toute nouvelle.

Le 222 de Le Galion, où œuvre Paul Vacher, date de cette décennie. On y retrouve la lavande avec violette et bois de cachemire entourés de résines sur fond boisé-cuir. Special for Gentlemen date de 1947 : la lavande est épicée de cannelle dans cet ambré masculin aux matières nobles avec une note animale.

Moustache (1949, Edmond Roudnitska pour Rochas) est fidèle au « fougère » avec son cœur d’œillet et géranium, le fond prescrit, puis lavande et bergamote en tête. Après reformulations et flanqueurs, il aura marqué sa génération et les suivantes. Quant à Eau d’Hermès (1951), le très élaboré cuir d’Edmond Roudnitska reste un cas d’école avec lavande et plantes aromatiques en tête, son géranium épicé en cœur, sur une fondation inébranlable de cuir et de fougère à la fois.

Sans qu’ils soient nécessairement des « fougère », nombre de parfums pour homme témoignent de la masculinité de cette matière. Ainsi le Balafre de Lancôme, version 1967 et reformulé ; Paco Rabanne Pour Homme (1973), qui entre, lui, dans la définition ; Héritage de Guerlain (1992) au cœur très fleuri ; le très élégant Rive Gauche pour Homme (YSL, 2003), lui aussi « fougère » épicé ; Polo Sport de Ralph Lauren (années 90) ; La Nuit de l’Homme d’YSL (2009), un boisé épicé ; L’Homme Idéal de Guerlain (2016), aromatique épicé avec des traces de gourmandise ; le Gentleman de Givenchy, version 2017, plutôt boisé-cuir épicé avec des notes d’ananas en tête.

 

Le Passant d’Ormaie, qui mise sur l’approche du 100% naturel, est une des versions les plus récentes de l’accord fougère avec des notes fleuries de tagète. Le Sedley des Parfums de Marly est une version boisée-terreuse de la composition aromatique, où lavande, géranium et romarin forment un cœur élégant sur un opulent cachemire. Le Beau de Jour de Tom Ford (2020) utilise plusieurs extractions de lavande sur une composition de fougère ambrée. Très « lavande » fumée, le Phantom de Paco Rabanne en 2021.

Lavande en Orient-Express

La lavande prend des accents orientaux dans Encens et Lavande de Serge Lutens, ou un Gris Clair irisé et musqué, ou encore Amber & Lavender de Jo Malone, avec cannelle et myrrhe. Dans Djhenné de Pierre Guillaume, elle est mentholée avec un cœur de cacao posé sur la myrrhe et un absolu de blé…Dans Brin de Réglisse (Jean-Claude Ellena pour Hermessnce d’Hermès en 2007), lavande, foin et coumarine sont épicés d’une réglisse qui crée la surprise dans un vieux thème.

Marc-Antoine Corticchiato a composé pour Parfum d’Empire une Fougère Bengale (2007), clin d’œil de la lavande aux grandes routes, avec thé, patchouli, tabac, gingembre et poivre noir. Eau Noire de Maison Christian Dior combine également les notes méditerranéennes de l’immortelle, du thym et de la lavande avec celles des routes—safran, réglisse, café—comme si cette lavande avait parcouru tout le chemin depuis les charnières de la Mare Nostrum jusqu’aux ports de l’Extrême-Orient (je verrais bien cette Eau Noire sur les smokings des attachés diplomatiques d’India Song…). De même, Eau de Lavande chez Diptyque (2014) marie la plante aromatique aux épices des îles de la Sonde.

Pour une femme

Jersey (Exclusifs de Chanel, 2016) met l’accord fougère au goût d’une femme androgyne, avec rose et jasmin. Mon Guerlain (2017) a les éléments d’une guerlinade introduite par un jet de lavande et bergamote avec quelques gourmandises épicées, comme la réglisse. Sorti en 2019 avec déjà quelques flanqueurs, Libre d’Yves Saint Laurent est un aromatique féminin construit autour de la lavande, entourée de fleurs blanches et de notes hespéridées. Boisé-fleuri féminin, L’Heure Fougueuse de Cartier accorde sa lavande à la terre, celle du maté, du vétiver, de la mousse de chêne, avec la verdeur fleurie du magnolia. Lavandes Trianon de Maison Lancôme ajoute une note gourmande typique de la collection pour évoquer une reine en quête de plaisirs. Chez les parfums Céline, la lavande inspire un Rimbaud (2022) irisé où règnent les fleurs blanches riches en esters.

Mare Nostrum

Les évocations méditerranéennes de la lavande sont un autre thème de cette plante aromatique à laquelle Fragonard dédia l’année 2019. Molinard consacre un de ses « Éléments » à la lavande, avec des traces de « fougère ambré » dans la fève tonka et le benjoin, autour d’un ciste maquisard. Vers le Sud de Jacques Fath pose lavande et citron en tête d’un cœur méditerranéen de figue. Parisien ou non, le Frenchy de Guerlain (collection « L’Art & la Matière ») sait aussi que le charme, au sens du XVIIème siècle, se trouve au Sud, dont il porte les senteurs, à tel point qu’il se nomme désormais Frenchy Lavande. Dans Iris Rebelle d’Atelier Cologne, la lavande est en tête avec des agrumes alors que le fond d’iris est agrémenté de notes solaires et boisées, et de carotte sauvage. Séville à l’Aube (L’Artisan Parfumeur, 2012) met la lavande en tête avec le petit-grain sur un cœur dédié à la fleur d’oranger. Mathilde Laurent avait œuvré avec Jean-Paul Guerlain autour d’une Aqua Allegoria Lavande Velours (1999), avec iris et violette. Plusieurs Colonia d’Acqua di Parma incorporent la lavande dont Colonia Roma, avec une rose bulgare, et une nouvelle Colonia di Futura avec la sauge, sur fond de vétiver.

Au Pays de la Fleur d’Oranger, la marque de niche de Virginie Roux, honore la plante du Sud de la France dans Lavande Ombrée avec un cœur de rose, cannelle et cèdre. En 2020, Perris Monte Carlo a lancé une Lavande Romaine verdie de feuille de cassis, composée par Jean-Claude Ellena. Le Moment Perpétuel des Eaux Primordiales met également sa lavande au goût de la mûre et du cassis. Autre version fruitée : le Calme & Volupté (2019) de la marque de Saint-Paul de Vence, Godet, où la lavande est accompagnée de pêche et de cassis, avec des épices dont cardamome et curcuma.

L’Eau de Gloire de Marc-Antoine Corticchiato * (Parfum d’Empire, 2003) est glorieusement ancrée à la Mare Nostrum, avec myrte, fleur d’oranger, agrumes, immortelle, romarin, ciste et lavande sur un fond cuir-tabac. La Haute Provence de Parle-Moi de Parfum associe la lavande au narcisse de Lozère. Dans cette parfumerie de niche qui honore à la fois le voyage et les matières premières, le Mediterraneo de Phaedon, composé par Pierre Guillaume, se veut une évocation de la Sicile aux effluves de lavande, de mandarine, de citron et d’épices. La marque aux deux griffons, inspirés d’un bas-relief achéménide (Perse), privilégie les références aux cultures antiques et aux voyages au long cours.

Post-Scriptum

La France est engagée dans la protection de la filière lavande, notamment grâce à la volonté du Sénateur Jean-Michel Arnaud des Hautes-Alpes. En jeu est la révision en 2022 par la Commission européenne de deux règlements préalables déjà très dommageables aux distillateurs. « La proposition de résolution adoptée par les Sénateurs demande…une évaluation dans sa globalité de l’huile essentielle de lavande, en ayant recours au maximum aux données existantes, épargnant par là même aux producteurs d’huiles essentielles la réalisation de tests sur chacun de leurs constituants. De même, la commission des affaires européennes du Sénat demande à clarifier la notion de perturbateur endocrinien…. ». (https://www.senat.fr/presse/cp20220602.html) Le comble est que la réglementation européenne pourrait privilégier des produits de synthèse contenant des hydrocarbures. La bataille n’est pas encore gagnée.

Par Sandrine Teyssonneyre est aromatologue, auteur, conférencière et passionnée par la parfumerie.

* Lire l’entretien avec Marc-Antoine Corticchiato à l’occasion des 20 ans de sa marque Parfum d’Empire :

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