Au terme d’études sur le neurosciences, son mémoire de master portait sur la récupération de l’odorat par l’imagerie mentale ou encore par l’apprentissage olfactif. Clémence Lilti Molinier en a tiré un livre : L’Extraordinaire pouvoir de l’odorat. Interview

Passionnée par les odeurs depuis le plus jeune âge, elle aime explorer la nature par le biais de l’équitation, la randonnée ou encore le running. Également attachée à certaines pratiques perceptives : yoga, méditation de pleine conscience, elle apprécie également les ateliers de cuisine pour laisser place à la créativité en associant épices et aromates.

C’est cette même passion pour les odeurs qui a été le guide de ses expériences professionnelles. Après des études de biologie – œnologie, elle a rejoint l’univers fascinant de la tonnellerie en tant que consultante commerciale. Son métier reposait alors sur l’association de bois de chêne (origine, chauffe) à des vins en cours d’élevage pour révéler leur palette aromatique et gustative au fil du temps.

Elle a ensuite été formée à l’analyse sensorielle à l’Institut des Sciences de la Vigne et du Vin (ISVV) et a créé la société VIVITIS, L’Éveil des sens, spécialisée dans la formation à l’analyse sensorielle dans un cadre professionnel et à l’éveil sensoriel chez les novices, adultes et enfants.

Pour aller plus loin dans cette démarche et percer les mystères qui lient cerveau et odorat, elle a décidé d’entreprendre des études de neurosciences. Son mémoire de master portait sur la récupération de l’odorat par l’imagerie mentale ou encore par l’apprentissage olfactif.

«Vous commencez votre livre par ce constat : « Nous sommes passés d’une demande de produis enrichis en divers substances à une demande de produits contenant le minimum d’ingrédients – et de préférence issus de l’agriculture biologique ». Comment expliquez-vous ce « revirement » ?

Lassés par un excès d’additifs non justifiés dans certains produits du quotidien, qu’ils soient alimentaires ou ménagers, la génération actuelle est probablement à la recherche de plus d’authenticité, de simplicité et de tradition. Nombre de personnes font « maison » au lieu de se ruer dans les rayons de supermarchés. Le petit déjeuner illustre bien cela. Alors que les années 90 ont été marquées par de nombreuses créations de céréales en tous genres, où les additifs allongeaient sans cesse les listes d’ingrédients, la génération actuelle est davantage tournée vers des recettes santé, qu’elle prend plaisir à confectionner pour son bien-être ou encore à troquer la grande surface contre le boulanger du quartier qui prend le temps de réaliser des recettes traditionnelles dans les règles de l’art.

Un revirement de situation sûrement engagé par une prise de conscience multifactorielle : augmentation du nombre de maladies causées par des facteurs environnementaux (cancers, maladies neurodégénératives comme Parkinson, Alzheimer entre autres) ; Envie de renouer avec ses 5 sens : planter, jardiner, confectionner ses produits d’entretien, réaliser des recettes en accord avec son mode de vie, ses choix de consommation et laisser parler son esprit créatif.

Selon vous, pour quelles raisons souhaitons nous tant retrouver les « odeurs et arômes naturels » ? D’ailleurs, que mettez-vous derrière cette expression ?

Retrouver les odeurs et arômes naturel permet de se connecter à la nature, au terroir, la simplicité des produits de qualité. La génération actuelle semble avoir pour mot d’ordre « sens ». Donner du sens à sa carrière, à ce qu’elle consomme. Être acteur de la transition, notamment écologique mais aussi économique et sociale semble être un engagement fort d’une partie de la population actuelle.

La génération actuelle est en quête de sens tout en voulant renouer avec ses 5 sens. Pourtant le toucher est montré du doigt… tandis que l’odorat revient sur le devant de la scène dans un contexte de crise. Comment le constatez-vous dans votre activité en œnologie ?

L’odorat a toujours été l’un des principaux piliers de l’œnologie qui repose en grande partie sur les synergies qui opèrent entre les molécules aromatiques qui composent le moût de raisin et ensuite le vin. Le nombre de personnes, professionnelles comme amatrices, désirant perfectionner ses aptitudes sensorielles est en forte croissance comme en témoigne le nombre grandissant d’inscriptions à ce type de formations. De plus, la génération actuelle est en demande de vins plus fruités, moins boisés, à la recherche d’odeurs et d’arômes variétaux, autrement dit en lien avec le cépage et le terroir essentiellement.

Et dans le monde du parfum ?

En parfumerie, la demande semble tournée vers le « naturel » les huiles essentielles, extraits de plantes ou encore vers des odeurs évoquant des sources naturelles comme l’eau, les notes florales … il semble y avoir une demande plus minimaliste que la génération précédente tournée vers des parfums plus voluptueux, moins épurée qu’aujourd’hui. Un parfum doit avant tout raconter une histoire, évoquer des images mentales, des sensations … le marketing l’a bien compris et permet de décupler les perceptions sensorielles.

L’odorat est-il inné selon vous ?

L’odorat est composé d’une partie innée et d’une partie (majoritairement) acquise par l’expérience. Concernant la part innée, il est intéressant de savoir que nous sommes tous anosmiques spécifiques, autrement dit qu’il existe des composés odorants que nous ne percevrons jamais car nous ne disposons pas du matériel génétique permettant leur perception et cela est malheureusement définitif.

Cependant, pour la majorité des odorants pour lesquels nous ne sommes pas anosmiques spécifiques, nous pouvons nous entraîner et perfectionner nos aptitudes olfactives toute notre vie. Cet apprentissage commence dès notre vie fœtale, alors que nous n’avons pas encore vu le jour.

Il a longtemps été délaissé, méprisé car méconnu : il aura fallu la crise sanitaire pour le revaloriser et proposer une approche pédagogique, voire ludique (comme au début de votre livre) pour le comprendre : comment voyez-vous son évolution dans votre activité, dans la vie ?

Il serait intéressant de mettre l’odorat sur le devant de la scène dès le plus jeune âge. Par exemple, initier les enfants en classe à prendre conscience de leurs perceptions sensorielles.

Vecteur de bien-être, de culture, de créativité cela permettrait sûrement de développer de nombreuses compétences chez l’enfant, le jeune adulte, mais également chez l’adulte. L’odorat joue un rôle clé pour notre bien-être émotionnel, psychologique mais aussi physiologique, il convient de savoir l’utiliser dans son quotidien pour être épanoui et en bonne santé. Une véritable pédagogie doit rendre accessible à tous le sens de l’odorat.

Les odeurs, ont une histoire : notre époque semble vouloir lui redonner son caractère sacré, comme si on revenant à ses origines ?

Encore une fois, il s’agirait d’être plus connecté à soi, à la nature qui nous entoure. Prendre conscience de l’environnement dans lequel nous évoluons passe par prendre conscience des odeurs qui le composent.

On aspire aussi à retrouver dans le parfum ses vertus thérapeutiques, comme si l’histoire du parfum se répétait ! C’est le cas selon vous avec le succès de l’aromathérapie et les huiles essentielles ?

Oui, le pouvoir des odeurs passe par un volet personnel lié aux souvenirs personnels de chacun depuis l’enfance, parfois même avant, car ce sens est à la base de la construction de l’individu.

Vous parlez d’olfactothérapie comme d’un « nouveau métier » qui agit sur la mémoire, psychiatrie, milieu carcéral, bien-être : comment devient-on olfactothérapeute ? Qu’offre-t-il aux amateurs d’odeurs/parfums ?

Le métier d’olfactotérapeuthe est encore peu courant. Il convient de prendre du recul pour ne pas laisser des personnes inaptes pratiquer une telle discipline avec des patients parfois très impactés psychologiquement. Ce métier est complexe et est à la croisée de l’odorat, des neurosciences, de la psychologie.

Utilisez-vous ses principes en œnologie ?

Oui, c’est un vecteur d’apprentissage réel. Plonger les élèves dans leurs souvenirs profonds pour que chacun puisse percevoir le plus intimement possible les nuances de l’odeur dont je parle, placer ses propres mots face à des composés permet de mieux les identifier.

Comment enrichir son vocabulaire pour décrire l’émotion liée à l’odeur ?

Cela passe par l’échange avec les autres. Le lien établi par les odeurs est très fort. Partager une expérience olfactive à travers un atelier par exemple permet à chacun d’exprimer ses émotions, ses souvenirs mais également d’enrichir son vocabulaire grâce au partage d’expérience de son entourage.

Quels sont les points communs et les différences entre l’odorat en œnologie et l’odorat en parfumerie ?

Toutes deux s’attèlent à révéler des odeurs, susciter des émotions fortes et raviver des souvenirs.

Les molécules et synthèse sont-elles des étapes de progrès selon vous ?

Le mot « molécule » peut faire peur alors que nous sommes nous-même composés de molécules et tout ce qui nous entoure est composé de molécules, à commencer par l’eau ou encore l’oxygène que nous respirons pour n’en citer que deux. En revanche, les molécules peuvent être d’origine naturelle ou de synthèse et il semble que la demande soit davantage tournée vers des molécules d’origine naturelle pour les raisons évoquées précédemment.

Il convient d’être prudent car les molécules de synthèse permettent parfois de protéger la nature, la faune, la flore ! Aussi paradoxal que cela puisse paraître, certaines créations au laboratoire permettent de mettre fin à des massacres d’animaux produisant certaines substances telles que le musc. Vous verrez de nombreux exemples qui illustrent se propose dans l’Extraordinaire pouvoir de l’odorat (Edition De Boeck supérieur).

 

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