Germaine Cellier a composé dans les années 1940-1960 une parfumerie à son image. Libre.

Zoom sur une femme peu ordinaire en parfumerie (1909-1976). Comme évoqué dans le podcast qui lui est consacré sur la Voix du parfum*, sa nièce, la journaliste Martine Azoulais se rappelle : «Germaine Cellier fumait comme un pompier, buvait du Johnnie Walker, parlait argot… Elle était à la fois très belle et impérieuse. Avec une présence extraordinaireElle a surtout révolutionné le monde de la parfumerie de l’après-guerre.»

Elle est alors l’une des seules femmes dans cet univers masculin.

De nature indépendante, au caractère bien trempé, elle compose dans les années 1940-1960 une parfumerie libre, sans contrainte ni préjugé. Pour elle, la parfumerie est un don : elle n’a pas de règles et ne s’apprend pas. Selon la parfumeuse Jeannine Mongin lors d’une conférence pour l’osmothèque, elle était “libre de mœurs, ce qui est rare à l’époque, et libre de pensée, ce qui l’est encore plus

Une signature anticonformiste

«La parfumerie des années 1930 ressemble peu à celle d’aujourd’hui, continue Jeannine Mongin. Les fragrances sont alors vendues exclusivement par les parfumeurs comme Caron, Coty, Houbigant… Les entreprises Givaudan, Roure Bertrand Dupont et leurs confrères leur fournissant les matières premières. Sous l’impulsion de Louis Amic, la maison Roure entreprend alors de donner un tour nouveau à cet univers en créant des produits finis et en encourageant, surtout, les grands couturiers à lancer sous leurs noms ce complément indispensable à l’élégance féminine.»

Germaine Cellier arrive à ce moment-clé où les créateurs peuvent enfin donner libre cours à leurs idées. Dans son appartement de Montparnasse, puis de la rue Boccador, près des Champs-Élysées, elle vogue dans le milieu artistique comme dans la grande bourgeoisie. La Parisienne d’adoption côtoie artistes et couturiers, pose pour André Derain, fréquente, Jean Cocteau, François Périer, Maria Casarès… Ces amitiés renforcent ses impulsions créatrices.

En 1948, elle signe l’un de ses plus beaux succès : Fracas de Robert Piguet

L’un de ses premiers parfums est Bandit, un chypre fauve et sensuel, déjà à contre-courant, imaginé en 1944, pour le jeune Robert Piguet, ancien modéliste chez Poiret, qui vient de fonder sa maison de couture.

Elle dit l’avoir élaboré en «cinq minutes sur le coin d’une table» et dans lequel, elle n’a pas hésité à introduire, pour la première fois, 1 % d’isobutyl quinoléine, une molécule synthétique à l’odeur de cuir.

Suivront Élysées 63 84 pour Balmain, qui évoque l’odeur du vison ; Cœur Joie pour Nina Ricci, un aldéhyde fleuri et racé ; La Fuite des Heures, en 1949, pour Balenciaga, construit autour d’un accord de thym jasmin capiteux et tenace ; Jolie Madame toujours pour Pierre Balmain qui le décrit comme «le parfum de l’aventure pour les soirs de passion et d’enchantement»

Ainsi que des compositions vendues aux États-Unis, notamment à Elizabeth Arden.

Ses créations tranchent avec les tendances florales, les roses et les fleurs blanches qui dominent à l’époque

Germaine Cellier bouscule les codes et les hommes avec qui elle travaille. «Son langage est toujours aussi cru et pittoresque, écrit encore Jeannine Mongin. Elle a des jugements percutants, sans appel pour les créations de ses collègues. Ses propos choquent par la forme et le contenu.» Si bien que Roure Bertrand Dupont lui installe un laboratoire rien qu’à elle dans un petit hôtel particulier à l’angle de la rue de Rouvray et du boulevard Victor-Hugo à Neuilly-sur-Seine. Elle y crée avec intuition et selon son propre tempo. En toute liberté…

Compositions dissonantes

Forte de sa formation de chimiste,  elle expérimente les ingrédients en les poussant à l’extrême.

Comme l’illustrent ses grands succès, Vent Vert et Fracas.

Elle imagine le premier en 1945 pour Pierre Balmain. C’est «le» jus vert de la parfumerie, avec 8 % – une folie – de galbanum, cette essence d’Iran extrêmement astringente chargée d’apporter une densité végétale très particulière. L’élan part sur une senteur joyeuse et presque terreuse de brins d’herbe, de bourgeons de fleurs, de feuillage balayé par le vent. La note verte est totalement visionnaire comme le rappelle Olivier David dans le podcast

En 1948, Germaine Cellier réitère l’expérience d’une fragrance aussi puissante que charnelle avec Fracas pour Robert Piguet: un soliflore qui célèbre l’une des fleurs les plus entêtantes qui soit, la tubéreuse. Le parfum en accord avec la féminité exacerbée de l’époque inspirera une lignée de jus capiteux – Poison de Dior, Tubéreuse Criminelle de Serge Lutens et Carnal Flower aux Éditions de Parfums Frédéric Malle. Des créations à l’image de Germaine Cellier: libre et audacieuse. Sulfureuse, même.

«Elle meurt d’épuisement en 1976, à 67 ans, d’un œdème au poumon pour avoir respiré un peu trop de produits toxiques, mais aussi avoir trop bu et trop fumé, raconte Martine Azoulai. Ma tante disait qu’elle avait voulu créer des parfums en souvenir des petits œillets des sables dont elle avait respiré l’odeur sur des collines près de Marseille.» A l’odeur poivrée et  vivace…

A retrouver aussi sur le podcast La Voix du parfum avec Olivier David : https://www.youtube.com/watch?v=r3cqOfbR03c

Quelques dates

1944 Bandit pour Robert Piguet, un chypre cuir, fauve et sensuel.

1945 Vent Vert pour Balmain, un jus visionnaire à la densité végétale.

1946 Cœur Joie pour Nina Ricci, un aldéhydée fleuri et racé. Elle collabore avec Christian Bérard à la création du flacon.

1949 La Fuite des Heures de Balenciaga, un accord thym jasmin capiteux et tenace.

1953 Jolie Madame pour Balmain, policé et capiteux, «le parfum de l’aventure pour les soirs de passion», selon Pierre Balmain.

 

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