« Je suis ce que je ressens. Au bureau, au laboratoire, c’est le parfum qui m’entraîne, qui ne demande qu’à évoluer, à se magnifier. Je me laisse guider par les senteurs, il faut pour cela un certain lâcher-prise». Maurice Roucel est le créateur de dizaines de parfums en près de 40 ans de carrière. Rencontre avec un « fauve » inspiré.

A la question, seriez-vous un peu artiste ? Maurice Roucel répond : « J’aime passer du floral transparent au chypré, de l’oriental à l’ambré, avec un goût particulier pour les senteurs rondes, chaudes et enveloppantes, comme dans Tocade de Rochas. Mais si je devais retenir une esthétique plastique dont je me sente proche, ce serait le fauvisme ». (ici Le Tigre de Marc Franz -1912)

Ce qui caractérise ce mouvement pictural du début du XXème siècle est l’audace et la nouveauté de ses recherches chromatiques. Les peintres alors ont recours à de larges aplats de couleurs violentes, pures et vives, et revendiquent un art fondé sur l’instinct. Ils séparent la couleur de sa référence à l’objet, afin d’accentuer l’expression. Tout est dit… ou presque…

Aujourd’hui, il agit de même avec les matières premières, les notes, la technique et son imagination.  Cela donne des œuvres d’art.

Parmi elles, citées dans la conversation avec autant d’humilité que d’enthousiasme : Musc Ravageur, (2003) (Frédéric Malle), conçu « comme un « acte de séduction et de générosité» ;  L’Instant (Guerlain) dont « l’ensemble procure une impression très veloutée et gourmande comme une guimauve géante : j’ai alors découvert les vertus du travail à deux,  avec Sylvaine Delacourte ». Scuderia Ferrari Black (Ferrari) en 2017 dont les « notes d’agrumes donnent à cette fragrance une énergie inattendue, et surtout, est  le fruit d’un travail d équipe important aussi ».

Il poursuit : « J’aime beaucoup Fahrenheit de Dior, Pour Monsieur de Chanel, Habit Rouge de Guerlain, Z14 de Halston et Aramis Devin d’Estée Lauder. En ce qui concerne mes propres créations, je porte Kenzo Air, Nautica Voyage et Pleasures Intense for men d’Estée Lauder. »…

La liste est longue…

A la hauteur d’une histoire olfactive riche en émotions, rencontres et inspirations. Les premiers souvenirs olfactifs remontent à l’enfance – la bouillie, sucrée, douce, vanillée » qui explique sans doute son affection pour les notes chaleureuses, moelleuses et vanillées. Puis en Normandie, ” sur la plage de Collignon, l’ambre solaire plus forte que tout,  l’odeur des frites, celle de la fumée du Queen Mary “. Puis à Vaux sur Seine dans le jardin, il rêvait ” d’être un explorateur “… Ce qu’il deviendra d’une certaine manière au sein des formules…

Ce nez actuellement chez Symrise chez qui il est le grand initiateur du magnolia, (utilisé la première fois pour Tocade de Rochas) a débuté en 1973 comme chimiste-analyste chez Chanel avant de rejoindre IFF, Quest, et Dragoco. Maintes fois récompensé par l’industrie, à l’image du Prix François Coty en 2002, des FIFI français et américains, il a été fait Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Il a composé pour de très nombreux noms de la parfumerie, de Bond No 9 à Lancôme en passant par Dunhill, Amouage, Helmut Lang, Guerlain, Hermès,  Rochas, Donna Karan et Gucci, pour ne citer qu’eux.

De retour en France en 2011 après un épisode américain long de onze années et demie, et récemment au Brésil plusieurs mois, l’auteur de  Ferrari Forte et Beautiful Day  pour Jean-Charles de Castelbajac, est toujours aussi curieux et enthousiaste.

La parfumerie a-t-elle encore des secrets à lui livrer ? Comme repousser les limites de l’imagination,  aller au-delà de l’inspiration et se renouveler ?

Plusieurs réponses viennent à l’esprit du créateur. « La musique est parfois une source d’inspiration pour moi : une musique qui me plaît m’emmène quelque part… tandis que je l’écoute, il n’est pas rare qu’une partie de mon cerveau pense déjà en senteurs. Des Doors, au jazz avec Désert Blues par exemple – « en souvenir de la batterie que j’ai apprise étant jeune », en passant par la musique classique « la puissance d’un Beethoven rend humble » jusqu’aux mélodies arabes d’Oum Kalthoum, tout peut m’inspirer ». Les livres aussi me donnent des idées, poursuit-il : j’adore ceux d’Amin Maalouf, mystiques et qui font rêver » ; Stefan Zweig pour ses préoccupations humanistes, Nietzsche et sa conception de l’homme ; ou encore Darwin dont j’apprécie « l’évolutionnisme »… Les sciences du vivant m’intéressent beaucoup ; enfant, je voulais être explorateur ».

Un rêve d’une autre culture, d’exotisme et de senteurs nouvelles qu’il a en partie réalisé en travaillant au Brésil d’où il revient. « Le travail en équipe là-bas est stimulant et on ose expérimenter. Le Brésil est le pays qui consomme le plus de parfums au monde : le marché est immense et prometteur. Les Brésiliens ont le parfum « dans la peau » depuis toujours, sans doute par leurs origines latines. Comme les Arabes et les Indiens qui considèrent tout autant le parfum comme un art de vivre. Travailler pour tous ces clients me donnent toujours plus envie de partager »

Le partage est le moteur de son travail et Maurice pense aux nouvelles générations qui arrivent tout en regardant plus de 40 ans de création de parfum avec reconnaissance : « Je suis redevable de ce que j’ai appris aux Etats-Unis. Maintenant il faut penser à la relève ». Il aime à transmettre, échanger, former, accompagner de jeunes parfumeurs tout en leur souhaitant peu à peu de « passer de l’instruction à la réflexion ».

Et de conclure : « il faut toujours maîtriser sa technique » pour exercer son art tout en étant « ouvert » et « curieux ». Après, pour exceller dans son métier, il faut deux qualités qui sont innées et qui ne s’apprennent pas : la créativité et la passion ». En écho à une citation qu’il affectionne inscrite sur la tour gauche du Trocadéro à Paris : « seul l’artiste se sent créé ; il créé comme il respire. Cela évoque pour moi qu’on doit d’abord maîtriser sa technique tout en étant ouvert et curieux ».

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