Créateur exigeant dont les parfums révèlent des univers singuliers au sillage intense et souvent charnel Marc-Antoine Corticchiato est aussi un scientifique qui a étudié le secret de la genèse des parfums dans les végétaux.

Marc-Antoine Corticchiato marque son Parfum d’Empire d’érotisme et de spiritualité

Habité par cette passion pour les matières premières naturelles les plus nobles et pour leur histoire dans différentes cultures, il part à la conquête de l’empire du plus mystérieux des sens « L’empire du parfum ». Sa marque créée en 2002 en est une élégante illustration.

A travers ses créations, il interprète des moments fugaces d’émotion qui nous permettent de pénétrer au cœur de belles matières premières naturelles convoitées depuis des siècles pour leur raffinement, leurs propriétés aphrodisiaques et leur usage dans les rituels sacrés.

C’est ce sens premier du parfum entre érotisme et spiritualité qu’il a voulu retrouver avec Parfum d’Empire. Ses parfums sont des histoires contemporaines et pourtant millénaires racontées sur la peau. Il nous embarque aujourd’hui dans son univers où les éléments de la nature se répondent avec harmonie, sensualité, sensibilité.

Les chocs olfactifs ou la naissance d’un parfumeur

IS : Je viens de citer certains éléments de votre univers. Tout est lié : la nature, la terre, ses trésors, les matières premières. Du Maroc de votre enfance à la Corse familiale, vous avez tissé un lien particulier avec elles, avec la terre, avec la nature. Est-ce que vous pourriez nous présenter ce lien avec vos mots à vous ?

MAC : En fait, pendant très longtemps, je n’ai pas pu expliquer pourquoi j’étais devenu parfumeur. C’est une question récurrente qu’on me pose souvent …

IS : Je ne vous la poserai pas …

MAC : Je me souviens de ma première attachée de presse Marie-Chantal, la charmante Marie-Chantal qui m’avait dit, juste avant ce premier lancement, « il va y avoir cette question pourquoi êtes-vous devenu parfumeur et réponds ». Je ne savais pas et hélas elle m’avait dit « tu n’auras qu’à dire comme tout le monde, que tu as été frappé par les parfums ta mère qui portait tel truc le soir … Et à l’époque, je n’osais pas dire que ma mère a toujours détesté les parfums. Et je crois que je suis arrivé à ce métier grâce ou à cause de chocs olfactifs de mon enfance puisque j’ai eu la chance de naître et de grandir dans trois univers olfactifs très forts.

Les orangeraies de mes parents au Maroc où je suis né entouré de mes parents absolument exceptionnels, hors normes, je dois le dire et je veux les citer Barbara et Paul qui sont partis hélas beaucoup trop jeunes mais qui ont eu le temps de nous apprendre le vrai, le beau, à savoir l’humain. Donc ça c’est le premier univers de choc olfactif donc. Le deuxième est bien entendu le maquis corse puisque j’ai grandi entre ce maquis corse et les orangeraies. Et puis le troisième, ce sont les chevaux, l’univers du cheval …

L’Immortelle : l’éternelle inspiration de Marc-Antoine Corticchiato

IS : Oui, trois univers qui sont votre univers aujourd’hui. Et on va s’arrêter sur l’une de ces plantes corses, l’immortelle. Vous avez une manière de parler de l’immortelle, cette reine du maquis corse comme vous l’appelez, il y a un lien affectif, c’est une sorte de muse pour vous ?

MAC : De muse, je ne sais pas peut-être inconsciemment d’ailleurs. Mais en tout cas, elle fait partie de ma vie depuis toujours. J’ai la chance de me partager entre la Corse et Paris ; Paris où j’ai mon propre laboratoire de création. Et je dis toujours que j’adore Paris parce que j’ai la chance d’être très régulièrement dans ce maquis, dans cette maison qui a vu naître et vivre mes arrière grands-parents. Et effectivement l’immortelle, ça fait partie des parfums de mon quotidien, des parfums de ma vie.

Et l’immortelle est extrêmement complexe, elle est très facettée olfactivement, elle est très compliquée d’ailleurs à utiliser dans un parfum parce qu’elle est extrêmement puissante, extrêmement complexe, c’est ce qui la rend touchante, excitante aussi. Elle a aussi bien des facettes tabac, foin, paille et des facettes fruitées genre pruneaux, des facettes vieux porto un peu madérisé, elle peut être épicée aussi.

Elle a un petit défaut c’est qu’elle s’oxyde vite, elle peut développer une facette un peu de bouillon cube qui n’est pas la plus glamour bien sûr. Mais elle est extrêmement puissante donc je l’aime, je l’utilise souvent en toute petite quantité. De toute façon la Corse est très souvent dans mes créations, très présente, que ce soit pour la création pour Parfum d’empire, pour d’autres maisons et la Corse est au moins présente en filigrane. L’immortelle, elle est compliquée mais passionnante.

Le ciste, le parfum du maquis Corse

IS : Alors, une autre plante qu’on connaît peut-être un petit peu moins, c’est le ciste.

MAC : Le ciste … en fait le parfum du maquis corse, il est extrêmement complexe. Il est composé de pas mal de matières premières, enfin de plantes, pardon. Et si on veut résumer le parfum du maquis corse qu’on n’arrive que très difficilement à reproduire, on doit citer l’immortelle et le ciste. Le ciste qui vient brûler au cœur de certains parfums moyen-orientaux et il a ce côté résineux, chaleureux, sensuel voire sexuel. Il y a pas mal d’extraits de ciste sur le marché, j’ai une passion particulière pour le ciste by-absolue de Biolandes qui le plus puissant du marché, qui est le plus beau, qui est craqué, qui est cuiré. Selon le projet, selon le parfum, j’utilise différents cistes.

Le cisteVoilà deux matières, deux plantes, deux ingrédients, l’immortelle et le ciste, extrêmement puissants, extrêmement facettés, avec une profondeur. Moi j’aime d’une manière globale, j’aime beaucoup c’est vrai la matière naturelle parce que pour moi le naturel de la vibration, ça a une énergie, je suis très sensible aux énergies même si pour certains ça peut paraître stupide, c’est très important pour moi. Au quotidien d’ailleurs, pas que pour les ingrédients utilisés dans les parfums. Donc la matière naturelle, elle a ce côté vivant, et donc pour moi ces vibrations m’intéressent beaucoup. Ce qui n’empêche pas d’utiliser aussi de la synthèse parce qu’il y a de très belles choses en synthèse. Et synthèse et naturel sont complémentaires.

 

Des mauvaises herbes aux herbes folles dans la parfumerie

IS : Et là, se glisse au milieu de ces ingrédients de synthèse ou naturels des plantes que l’on n’a pas l’habitude de voir, de sentir. Dans vos dernières créations, ce sont les mauvaises herbes. Il faut être un petit peu culotté tout de même !

MAC : En fait, je suis excédé, oui excédé, par toutes ces revendications classiques en parfumerie : les matières nobles, les plantes nobles, le santal d’Inde, la rose de ceci … que j’adore attention … mais je trouve injuste que ces herbes soient appelées des mauvaises herbes. Les herbes folles peuvent être charmantes, elles peuvent avoir des parfums extraordinaires, elles peuvent être bienveillantes comme l’ortie, comme d’autres plantes qu’on utilise en aromathérapie, donc au niveau médical. Et je les trouve très touchantes ces plantes qui ne demandent rien à personne, qui poussent toutes seules et qui ont beaucoup de charme vraiment.

Donc j’ai voulu un parfum qui rassemble ces mauvaises herbes, donc des ronces, des racines, des chardons. Et la reine de ce parfum, Mal-Aimé, puisque ce sont des êtres mal aimés par les hommes avec un grand H, ce sont des laissés pour compte de la société, donc la reine de ce parfum, c’est l’inule qui est donc une mauvaise herbe, qu’on va trouver un petit peu de partout, surtout dans les régions du Sud, notamment en Corse mais partout sur des parkings et terrains vagues, au bord des plages, dans le maquis …

IS : … elle ressemble à quoi ?

MAC : C’est une herbacée qui doit monter jusqu’à un mètre de haut et qui a des feuilles assez collantes, qui développe des petites fleurs jaunes adorables et qui n’avait jamais été utilisée, enfin son huile essentielle n’avait jamais été utilisée en parfumerie. Mais utilisée en aromathérapie puisqu’elle a pas mal de vertus, notamment pour tout ce qui est pulmonaire. Cette inule, elle m’accompagne depuis toujours dans mon maquis et je n’ai jamais eu le cœur de l’arracher. Trop délicate et trop charmante, donc j’ai toujours refusé de l’arracher de mon jardin en Corse. Voilà donc le Mal-Aimé qui finalement, entre nous, même si c’est vulgaire d’en parler, a un prix de revient absolument astronomique. Mais voilà donc ça me faisait plaisir de les mettre en avant.

Et puis Mal-Aimé, c’est aussi avant tout un hommage à un ami très cher disparu, Lucien xxx qui a été vraiment un grand ami et quelqu’un d’absolument extraordinaire. Vraiment un compagnon de maquis et de brousse, Lucien est un ingénieur thermicien, spécialiste de l’extraction de plantes à parfum et on a pas mal bourlingué ensemble. Avec Lucien, pendant longtemps, on se disait cette inule, personne ne l’aime, elle est vraiment merveilleuse, il faudrait l’utiliser, la faire connaître mais Lucien est parti trop tôt.

Les odeurs du monde du cheval pour Marc-Antoine Corticchiato

IS : Toujours au cœur du maquis corse, il y a un compagnon de route que vous avez cité tout à l’heure, qui ne vous quitte pas, c’est le cheval et peut-être que, justement, monter à cheval dans ce maquis vous a permis d’être en contact facilement avec ces plantes. L’animal et ses odeurs qui stimulent votre créativité, c’était une évidence ? Et l’histoire du cheval dont les odeurs seraient mises en flacon d’une manière ou d’une autre …

MAC : Parmi mes parfums, mes odeurs fétiches, il y a le monde du cheval bien sûr qui est extrêmement beau, puissant, qui me fait frémir à chaque fois que je rentre dans l’écurie, ça me fait frémir !

IS : Alors c’est l’environnement ou l’animal ?

MAC : C’est tout. C’est extrêmement complexe.  Il y a l’odeur du cheval lui-même, effectivement sa transpiration, son crottin, son urine et son souffle et puis il y a l’odeur des écuries, de la paille, du foin, du crottin, du cuir, du bois et de tous les produits d’entretien du cheval, notamment la cire, des produits pour entretenir l’intérieur des sabots, des produits pour entretenir les tendons. J’ai fait beaucoup de compétitions de saut d’obstacles ; j’ai failli d’ailleurs en faire mon métier, j’ai hésité un temps en étant plus jeune. L’univers du cheval est un univers absolument formidable d’où sans doute mon goût prononcé pour le cuir aussi. Cuir que je vais retrouver dans les voitures de mon père.

Mon père était un collectionneur de voitures anciennes. Notamment, ses préférées étaient des Jaguar anciennes avec des fauteuils en cuir dont l’odeur se rapproche de certains iris. L’univers du cheval, c’est quelque chose qui fait partie de ma vie, vraiment. Je crois qu’il y a eu une incompréhension quand j’ai sorti Equistrius. Equistrius, pour moi, c’est un nom qui est très fort. Ça a été mon meilleur cheval, c’est vrai, de compétition de saut d’obstacles et c’était un hommage à lui rendre. C’était un cheval absolument fantastique …

C’était un … je manque à chaque fois de dire c’était un grand monsieur … c’était un grand cheval avec beaucoup de noblesse, beaucoup de gentillesse, avec un cœur extraordinaire. D’où ce nom Equistrius qui veut dire cheval rutilant. Et là je n’ai pas voulu travailler les notes d’écurie classiques, le cuir, etc …, j’ai voulu travailler le souffle, le souffle du cheval. On n’en parle jamais : c’est chaud, c’est rond et c’est très irisé, c’est absolument formidable. J’ai toujours aimé sentir le souffle de mes chevaux, mettre mon nez au bout de leur nez, de leurs naseaux et de sentir ce souffle doux, lacté, irisé . J’ai voulu retrouver le souffle d’Equistrius. Alors c’est vrai le nom d’un parfum est très important, on le sait, et Equistrius fait penser au cheval ; les gens s’attendaient à des notes cuirées et animales, et non. Ce parfum est un travail autour des iris de Florence, du bois de santal d’Inde, de la graine d’ambrette. Il ne rencontre pas le succès qu’il mériterait ; on se rend compte qu’il intéresse surtout des professionnels ou des gens extrêmement pointus. J’espère un jour le faire connaître davantage …

IS : Vous avez évoqué le moment où vous avez finalement choisi d’être parfumeur. Quel est l’élément décisif qui vous a fait préférer le parfum aux concours équestres ?

MAC : Il y a beaucoup de choses qui se passent dans l’inconscient. Très jeune, j’étais très intrigué par le parfum des plantes, pas par le parfum, mais par le parfum des plantes : comment une petite plante sauvage qui ne demande rien à personne…

On prend une petite rose sauvage : elle pousse toute seule, son parfum c’est 300-400 molécules différentes, un parfum qui sera particulier au lever du jour, différent à midi et le soir. Et c’est ça qui m’a toujours intrigué, qu’est-ce que c’est le parfum d’une plante, c’est composé de quoi ?

flacons flousEt ça m’a poussé à faire des études de chimie, mais surtout de chimie analytique jusqu’à un doctorat de chimie analytique spécialisée dans l’analyse des extraits de plantes pour connaître le parfum. Plus tard, j’ai fait l’ISIPCA et j’ai commencé ma carrière dans des laboratoires de recherche. J’ai beaucoup étudié le parfum des plantes : je voulais connaître l’intimité de ces plantes à parfum. Selon deux axes de recherche :

  • des analyses et du suivi qualité de ce parfum dans les plantes au cours d’une année, au cours d’une saison, au cours d’une journée. Ce qui se passe quand on prend une plante sauvage, quand on la passe en culture, qu’est ce qui change dans son parfum ?…
  • les différentes techniques d’extraction.

C’est alors que  j’ai travaillé pour l’aromathérapie alors peu connue du grand public. Je partageais beaucoup mon temps entre le laboratoire et la brousse, au Viêtnam et à Madagascar. A Madagascar, nous avions, avec Lucien, installé des unités de production d’extraits de plantes à parfum et j’ai beaucoup appris d’ailleurs de ce monde paysan, de ce monde humble. J’ai beaucoup appris de la plante, de la nature. A un moment donné, j’ai voulu aller plus loin ; c’est là que le parfum m’a intéressé, véritablement, le parfum. J’ai tout plaqué pour intégrer un petit labo de création de parfum pour préparer mon projet de Parfum d’Empire.

Dégustation olfactive et gustative

IS : A vous entendre, vous avez plusieurs métiers : d’aromathérapeute que vous êtes peut-être quelque part aussi dans l’âme, de chimiste, de scientifique, de compositeur créateur de parfums et puis il y en a un autre plus récemment celui de vigneron, le rapport au vin, à la vigne.

MAC : J’aime le vin, j’ai toujours aimé le vin.

IS : On assiste à une dégustation olfactive et gustative…

MAC : Complètement, d’ailleurs je donne pas mal de conférences et un des thèmes de conférence est « Parfum et vin : 2 mondes qui s’entremêlent ». Parce que c’est deux mondes qui sont très proches, beaucoup de points communs, mis à part le fait que ce soit 2 mondes olfactifs bien sûr, mais il y a beaucoup de points communs notamment dans le marketing, l’importance du storytelling, l’importance du nom, l’importance du prix de vente aussi. Donc il y a beaucoup de points communs.

IS : Et les savoir-faire.

MAC : Et les savoir-faire bien sûr. Le vin m’a toujours et m’intéresse toujours … un peu trop parfois. J’ai voulu rendre hommage au vignoble corse puisque j’ai pas mal d’amis vignerons et notamment en Corse. J’ai concocté ce parfum Salute, « santé » quand on trinque en corse. Toute la difficulté, quand on veut faire un travail olfactif, un parfum autour du vin, même si on adore le vin, est de ne pas donner l’impression de se parfumer avec quelque chose qui sente la vinasse. La difficulté était d’évoquer ce monde sans tomber dans le côté vineux.

IS : Quelles sont les odeurs du vin que vous avez voulu capter ?

MAC : J’ai voulu capter une réunion entre amis dans un vignoble en plein air. Je suis parti sur des notes de feuilles de vigne froissées, ses côtés verts, des notes de naturalité et puis des extraits de lie de vin, ce sont des mares de raisin pour évoquer l’alcool. J’ai voulu évoquer aussi la cave: j’adore les parfums de cave, ce côté minéral, de pierre, ce côté un petit peu mousse, mousse moisie.

J’évoque tout ça par différentes facettes. Et puis je voulais quand même parler de la part des anges, cette partie de vin qui s’évapore à jamais. J’ai travaillé sur un mélange iris, musc pour évoquer cette part des anges. Ce parfum, bizarrement, a eu un départ un peu difficile et plus le temps passe, plus on nous le demande.

Aqua Di Scandola : le résultat d’une composition de notes marines

IS : Après avoir parcouru les sentiers de la Corse, on va prendre un petit peu le large, autour des îles, sur les côtes de la Corse. Parlez-nous de Cargèse ou de Scandola.

MAC : Ah Scandola, un des joyaux de la Corse … c’est une presqu’île qui n’est accessible que par la mer, dans des montagnes de roche ocre qui plonge dans une mer d’un bleu absolument extraordinaire. C’est une réserve classée d’ailleurs au patrimoine mondial de l’Unesco. J’y vais souvent; la mer est dans mon sang.  J’y vais souvent aussi avec des vieux, des vieux pêcheurs du coin. La pêche est interdite, on y va avec des petits bateaux pour pouvoir rentrer dans les grottes. Et quel que soit le jour, quelle que soit la période de l’année, on a toujours une lumière extraordinaire !

IS : On a le sentiment que vous captez des couleurs et des tableaux.

MAC : C’est ce que j’ai essayé avec Aqua Di Scandola. En fait, le challenge pour Aqua Di Scandola, c’est de travailler une note marine. Pour moi, et pas que pour moi, pour le public aussi, la note marine la note la plus ‘casse gueule’ de la parfumerie parce que tellement galvaudée par toutes ces molécules artificielles qui donnent l’impression de la mer, de l’iode, notamment la fameuse calone. J’ai voulu obtenir cette note aqueuse marine sans ces molécules artificielles tellement utilisées qui font dire souvent à juste titre au public dès qu’ils le sentent un peu trop : « c’est très bas de gamme ».

J’ai travaillé à partir d’extraits d’algues. L’algue n’est pas très utilisée en parfumerie ; elle a un inconvénient : dès qu’on la pousse un peu trop, – et je voulais la pousser pour ce côté iodé, marin, – on verse très vite dans le poisson un peu pourri, l’algue en décomposition avancée. Donc ce n’est pas chouette. J’ai travaillé avec un laboratoire à Grasse qui propose des produits merveilleux, des produits naturels pour pouvoir enlever toutes les molécules peu agréables olfactivement. L’ingénieur chercheur a pu partir de fragmentation, récupérateur de cette algue dépouillée de toutes ses facettes poisson.

La dimension spirituelle dans la parfumerie

IS : La terre, la mer vous inspirent et il y a la dimension du ciel ou plutôt spirituelle que j’ai envie d’aborder avec vous. Au détour d’une phrase captée que vous avez dite : « je remercie le ciel tous les jours parce que c’est merveilleux. Le jour où il n’y aura plus la passion tout sera fini ». Cette dimension spirituelle dans votre parfumerie est très présente.

MAC : Oui elle est très présente mais je crois qu’elle est très présente dans ma vie tout court. Je dis toujours que quand je me retrouve dans mon maquis, dans cette maison isolée de tout et de tous et que je regarde cet environnement somptueux, merveilleux, là je comprends facilement que je ne fais là qu’un bref passage dans ce décor majestueux.

Je pense que c’est l’antidote absolu contre l’arrogance.

On fait ce passage et je remercie le ciel, c’est vrai, régulièrement. Je ne crois pas en un dieu particulier, je crois aux énergies, je crois à la physique quantique bref, … Donc effectivement je remercie le ciel d’avoir eu les parents d’abord que j’ai eus et d’être dans cet environnement. La spiritualité effectivement ne peut être que présente, même quand je ne mets pas de mot là-dessus. Effectivement avec le parfum Wazamba,  j’ai voulu rassembler toutes les matières premières utilisées par toutes les cultures dans la spiritualité. Bien entendu il y a l’encens qui va être l’axe principal de ce parfum, et puis la myrrhe, l’opoponax, le bois de santal pour l’Inde, le cyprès pour les arabes. C’était finalement un travail autour de matières premières résineuses, donc les fameuses larmes d’encens, larmes de myrrhe, d’opoponax mais la spiritualité peut se retrouver ailleurs.

IS : C’est d’ailleurs ce qui vous fait dire aussi que le parfum doit repartir des fondements donc de la spiritualité et de l’érotisme.

MAC : Oui en fait ce sont deux axes qui personnellement m’intéressent, me passionnent depuis toujours.

Il se trouve que le sens premier du parfum, on le sait, c’est la spiritualité d’abord et l’érotisme. Pourquoi ?  Parce que tout simplement très vite les hommes ont cherché à obtenir les plus beaux parfums, les plus beaux extraits. Cela a nécessité parfois des batailles, des guerres. On  a voulu très vite et  plaire, séduire grâce à ce parfum. Donc spiritualité et érotisme sont les deux fondements du parfum ; je rappelle que les hommes se sont parfumés avant de savoir écrire donc c’est important.

MAC respire

“La parfumerie : l’illusion olfactive”

IS : C’est vrai qu’on a tendance à l’oublier. Vous dites “la parfumerie, c’est de l’illusion olfactive”. Est-ce que c’est une formule un petit peu provocatrice ou derrière cette expression il y aurait-il un côté magique, surnaturel, illusionniste ?

MAC : Quand je dis que la parfumerie peut être de l’illusion olfactive c’est quand le parfumeur, dans certains cas, doit constituer le parfum d’une plante. Comme les fameuses fleurs muettes qui n’existent pas à l’état naturel. Forcément c’est de l’illusion olfactive que de recréer un muguet, un lilas, un lys. De l’illusion olfactive parce que, aussi, on entraîne le cerveau dans une histoire qui est l’histoire de la marque du parfumeur.

Ma particularité, quand j’entame une création d’un parfum (et ce sont des amis parfumeur qui me l’ont fait remarquer) je n’ai jamais en tête une seule seconde un profil de personne, un homme ou une femme, jeune ou moins jeune, tel ou tel pays. C’est une histoire que je veux raconter et j’espère simplement qu’elle va pouvoir toucher du monde.

Mais je n’ai pas cette idée de cible qui est le truc classique en parfumerie et marketing. La cible – je trouve d’ailleurs ce terme absolument atroce – c’est un homme ou une femme de tel âge qui aime ceci ou cela, qui vit à droite à gauche.

C’est vraiment une histoire, ça peut être des parfums, des parfums paysage, des parfums abstraits bref c’est une histoire et ce n’est pas donc une cible.

Le Parfum d’Empire à 20 ans

IS : Je voudrais parler de votre marque Parfum d’Empire qui fête ses 20 ans …

MAC : … je n’aime pas les dates …

IS : … et ce nom évoque donc les multiples facettes du parfum, ses fonctions impériales et en même temps la notion de conquête.

MAC : Ah oui, pour moi le parfum est une sorte de remise en question. Le parfum est conquête. Le parfum doit être conquête. Ça peut être une conquête amoureuse, une conquête spirituelle et conquête de soi. Pouvoir aller sur de nouveaux chemins olfactifs, c’est aussi mieux se connaître. Donc le parfum doit être conquête.

Alors quand on dit conquête, on dit ohlala, ça fait guerrier, ça fait sanguinolent. Tu t’appelles Parfum d’Empire donc on pense au Premier Empire, à Napoléon … on me jette toujours ça à la figure. Parfum d’Empire c’est parce que c’est l’empire des sens. Pour moi le parfum ne fait pas intervenir que le sens olfactif, mais tous les sens donc d’où l’Empire des Sens. Alors c’est vrai une marque qui s’appelle Parfum d’Empire, un parfumeur Marc-Antoine Coticchiato qui revendique la Corse c’est vrai que naturellement on me jette dans les bras de Napoléon. Ce n’est pas ça, …

IS : C’est une quête ?

MAC : C’est d’abord une quête effectivement oui. Et c’est pour ça que je dis que le parfum doit être conquête. Et là je veux aussi dire que ce n’est pas la peine d’aller toujours vers le même type de parfum, ce n’est pas la peine de se laisser mener par le bout du nez par les histoires de marketing.

On a le droit d’aimer ce qu’on veut d’ailleurs, mais on se rend compte que plus on sollicite son nez (quand je dis solliciter son nez ça ne veut pas dire passer son temps dans les parfumeries. Cela veut dire solliciter son nez au quotidien, quand je rentre dans une pièce, quand je prends le métro, quand je sens l’autre, quand je déguste à un bon vin, un pot-au-feu. C’est prendre conscience qu’on a un nez et s’attarder un petit peu sur le sens olfactif.

On forme son nez beaucoup plus facilement qu’on le pense et inconsciemment souvent.

Ceux et celles qui ne sollicitent pas régulièrement leur nez vont avoir tendance à aller vers … On a toujours tendance à aimer ce que l’on connaît et donc on a tendance à traverser une vie dans un univers olfactif très pauvre et c’est bien dommage. Quand on a – et souvent c’est inconsciemment – une curiosité olfactive,(je déteste le terme de culture olfactive c’est très prétentieux, et puis on s’en fout) , il n’y a pas besoin de culture olfactive mais de curiosité olfactive.

Quand les gens me disent : « moi j’y comprends rien aux parfums » on s’en fiche, y a pas besoin de comprendre, c’est ça qui est merveilleux avec le parfum. Il n’y a pas besoin d’être un spécialiste des parfums : on aime, on n’aime pas mais on se rend compte que comme pour la musique, comme pour la peinture, plus on sent, et pas que du parfum, plus on va s’éloigner de notre olfactif que l’industrie nous jette à la gueule du matin au soir. Et on va pouvoir trouver du plaisir à aller vers des senteurs nouvelles. C’est ça qui est intéressant et c’est pour ça que le parfum doit être quête, comme vous l’avez dit, pour arriver à être conquête.

L’ambiance d’un parfum futur

IS : Enfin, quelle est la plante vers laquelle vous avez envie d’aller, lui faire raconter une histoire …

MAC : Il y en a beaucoup vous savez … heureusement, le jour où il n’y en aura plus …. Je suis juste très superstitieux en plus, comme toutes les sorcières corses. Alors, ce n’est pas une plante, non c’est une ambiance, une ambiance très chaude, très chaleureuse, une ambiance de vacances, une ambiance de plage, d’ambre solaire mais qui peut paraître vulgaire mais que j’adore …

 

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